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Nettoyage pas très net
Nettoyage pas très net
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Esclaves domestiques
Esclaves domestiques
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Filles à tout faire
Filles à tout faire
Une enquête de Frédéric Loore
Ils nettoient des chantiers, elles récurent des domiciles. Ils lavent les vitres d’immeubles privés et de bâtiments publics, elles astiquent des bureaux et des surfaces commerciales. Travailleurs belges fragilisés, étrangers en situation régulière mais précaire, véritables sans-papiers, ils se fondent dans le décor ordinaire du quotidien. Ils sont les salopettes et les tabliers qu’ils portent, anonymes derrière leurs contrats de travail abusifs, leurs identités factices et leurs employeurs fantômes.
« Travailleurs belges fragilisés, étrangers en situation régulière mais précaire, véritables sans-papiers, ils se fondent dans le décor ordinaire du quotidien »
Eux, ce sont celles et ceux, innombrables, qui vendent leur force de travail à des entreprises de nettoyage et des pourvoyeurs de main-d’œuvre domestique. On les trouve chez des particuliers à l’abri des portes closes, accrochés en plein jour à leur échelle posée sur la devanture vitrée d’une enseigne réputée, ou encore dans les locaux de grandes administrations, équipés de leur nécessaire d’entretien. L’éventail des formes d’exploitation auxquelles ils sont soumis varie du « simple » travail au noir sous-payé aux cas flagrants de traite des êtres humains.
Parmi eux, il y a Tamara, la bonne à tout faire d’un couple en vue appartenant à une illustre famille ; Luiza, femme d’ouvrage sans droit de séjour, exploitée pendant dix ans ; Levan, travailleur en noir d’une entreprise de nettoyage. Nous sommes partis à leur rencontre et nous avons recueilli leurs récits.
L’économie domestique fait également d’autres victimes silencieuses : les jeunes au pair. Légalement, ce ne sont pas des travailleurs. Accueillis par des familles dans le cadre d’un séjour qui se veut avant tout culturel et linguistique, ils doivent normalement recevoir le gîte, le couvert et de l’argent de poche en échange de la garde des enfants et de petites tâches.
Mais dans l’entre-soi des foyers, toutes les dérives deviennent possibles. Ana et Gabriela l’ont vécu douloureusement. Jeunes filles au pair transformées par leurs hôtes en domestiques multitâches à plein temps, contraintes de remplir les fonctions de nounou, cuisinière, coursière, aide-ménagère. Le tout assorti de pressions psychologiques, de mauvais traitements, de menaces et d’intimidations. Elles s’estiment néanmoins chanceuses : elles ont échappé aux violences sexuelles.
Combien sont-ils en Belgique, ces nouveaux corvéables ? C’est impossible à dire précisément. Des milliers au bas mot, recrutés sur place ou acheminés depuis l’étranger. Ils appartiennent aux communautés portugaise, brésilienne, turcophone, africaine, d’Europe de l’Est et du Sud asiatique.
Dans leurs secteurs d’activité, ils sont littéralement soustraits au regard social. Si l’on s’en tient aux statistiques officielles des auditorats du travail, des centres d’accueil spécialisés et des services d’inspection, il n’y aurait même parmi eux que très peu d’authentiques victimes de la traite économique. Pourtant, leur nombre est très conséquent, de même que les abus qu’ils endurent. C’est en réalité leur détection qui pose problème. Pour filer la métaphore cosmologique, on peut les comparer à la matière noire de l'univers. Bien qu’ils constituent une partie non négligeable de l’univers observable du travail, ils demeurent cependant invisibles. Un peu comme le tronc d’un arbre et ses branches, que le feuillage dissimule.
Cette enquête est une plongée au cœur du trou noir.
Avertissement : Cette enquête mêle des séquences réalisées par nos soins et des évocations de façon à faciliter le récit.
Nettoyage pas très net
Esclaves domestiques
Filles à tout faire
Frédéric Loore – Journaliste
Enquête et reportage.
Maxime Daix – Vidéaste
Réalisation et montage.
Gaëlle Henkens - Photographe
Reportage
Roger Job - Photographe
Reportage
Raphaël Batista – Ui Designer
Création web.
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